Par Raouf KHALSI

« Nous réaffirmons notre soutien au maintien de la stabilité et de la prospérité dans les autres régions du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord (…) Nous encourageons le gouvernement tunisien à répondre aux aspirations démocratique de sa population, à améliorer la situation économique du pays et à parvenir à un accord avec le FMI ».
Il s’agit là d’une hyperbole (assez inédite) parue dans le communiqué final de la réunion du G7 à Hiroshima. Juste quelques lignes consacrées à la Tunisie, entre une phrase consacrée au Yemen et une autre à la Libye.
Le Yemen est en guerre civile. La Libye est partagée en deux et les canons ne se taisent pas.
A croire que la Tunisie est en train de vivre en guerre civile, parce qu’elle est placée à la même enseigne que le Yemen et la Libye. Les édiles du G7 sont-ils suffisamment bien informés sur la situation en Tunisie ?
Les injonctions et la contorsion d’idée fixe
A l’évidence, ils établissent un curieux amalgame de cause à effet. A savoir que « les aspirations démocratiques du peuple » conditionnent la finalisation de l’accord avec le FMI. Et vice-versa. Et cela signifie une seule chose, une espèce de contorsion d’idée fixe chez cet usurier qu’est le FMI : les injonctions !
Celles-ci tiennent à la levée des subventions (et on parle de stabilité sociale) et à la démocratie.
Peut-être, sans doute, les congélateurs idéologiques du FMI se sont-ils retrouvés floués par les concessions consenties par le gouvernement et par le refus net de Kais Saied d’y souscrire.
C’est qu’au mois d’octobre 2022, il y a eu un accord préliminaire sur la base d’un prêt de 1,9 dollars, et encore cet accord serait décaissé en quatre tranches. Au mois de décembre, le dossier allait être réexaminé par le conseil d’administration avant d’être déprogrammé.
Puis, les réunions du printemps sous l’égide de la Banque mondiale avec une forte implication du FMI, n’auront pas permis d’infléchir les injonctions coercitives à l’endroit de la Tunisie.

Logique souverainiste

Entre temps, Kais Saied se cambre dans le refus. Pour lui, la Tunisie est capable de s’en sortir avec ses propres moyens, mettant encore et toujours en avant les sempiternelles théories complotistes, et tablant sur la réconciliation pénale qui se révèle être, pour l’heure, un imperceptible mirage, compte tenu de la complexité des procédures et, surtout, parce que les biens spoliés se sont évaporés.
Il n’empêche : Saied est dans sa logique souverainiste. Et, puis, cette levée des subventions imposées par le FMI serait potentiellement désastreuse sur le plan social. Car, finalement, cette levée est en train de se mouvoir en catimini : le marché, dont le plus gros échappe aux principes basiques de régulation, est en train de provoquer une spirale inflationniste, sans doute jamais vécue auparavant. Ces lignes, faussement compassées, réservées à la Tunisie au milieu des quarante pages formulant la déclaration finale de la réunion du G7 à Hiroshima, n’en dissimulent pas moins l’influence américaine et celle de la partie puissante de l’Europe (France et Allemagne). Et cette formule : « répondre aux aspirations démocratiques de sa population » (NDLR : la population tunisienne) résume à elle seule le fin fond de la problématique.
D’abord, qu’est-ce qu’on entend par « aspirations démocratiques » ?

Il y a d’abord le déni : le 25 juillet, à leurs yeux, marque le retour de la dictature. Et, par ricochet, la fin de la ploutocratie (la chute d’Ennahdha, pour être plus précis) marque à leurs yeux, la fin du printemps arabes. Ce printemps, eux-mêmes, n’y croient pas. Mais ils se seront évertués pour faire de l’islam politique, d’abord un outil de propagande « révolutionnaire », ensuite un bon prétexte de remodelage géostratégique avec, comme finalité première et dernière, la Libye et ses gisements.

Printemps arabe ? Qui y croit encore ?

Ce printemps arabe, c’est pourtant la Tunisie qui en paie les frais. Finies donc les incantations et les promesses faites au gouvernement Caïd Essebsi, quand celui-ci a été invité à assister au sommet G7 des temps où il était premier ministre. Il est rentré avec des promesses faramineuses, et pas une seule d’entre elles n’a été tenue !
Il se trouve cependant qu’au sommet d’Hiroshima, Giorgia  Meloni a plaidé la cause tunisienne, demandant au G7 de peser de tout son poids pour convaincre le FMI de débourser ce satané prêt sans conditions préalables.
Madame Meloni n’a pas été en l’occurrence visitée par une inspiration messianique. Si elle défend la Tunisie, c’est à cause de Lampedusa. Et elle se fait menaçante, agitant le spectre d’une tâche d’huile qui se répandra sur l’Europe tout entière.
Argument qui a laissé le G7 de marbre. Et l’effet sur la Tunisie n’a pas été à la mesure de son plaidoyer : voilà qu’on nous gratifie de quelques lignes entre celles réservées au Yémen et à la Libye.
En recevant le ministre italien des Affaires étrangères, Kais Saied a formulé la proposition d’un moratoire inter-méditerranéen sur la migration non-règlementaire. Parce qu’on échafaude un focus sur la Tunisie, alors même que les côtes libyennes ont servi de rampe de lancement à 150 mille migrants clandestins vers l’Italie.
Sur ce plan, il faudra bien qu’on sache : quand Saied a parlé de bombe démographique sub-saharienne en Tunisie et préconisé le renvoi chez de ceux qui sont en situation irrégulière, les démocraties bien-pensantes nous ont descendus en flammes. Et, puis, qui a investi la Tunisie du rôle de gendarme de la Méditerranée centrale, moyennant des clopinettes ? Youssef Chahed pourrait éclairer notre lanterne !
Cette problématique ne figure apparemment pas dans les charitables préoccupations du G7. Peut-on d’ailleurs exiger d’un usurier d’avoir des états d’âme ? La même ritournelle, sommairement résumée en quelques lignes dans le communiqué du G7. Le plaidoyer de Mme Meloni qui a, elle aussi besoin d’aides financières, n’a pas pris !

En finir avec les sons de cloche

Peut-être, devrions-nous clore ce dossier du FMI. Et il faudra bien en finir avec cette situation de ni guerre, ni paix. Du moins, faire taire les sons de cloche contradictoires.
Compter sur nos propres moyens ? Possible. Mais pas uniquement par le biais de la réconciliation pénale. Il faudra plutôt remettre la machine de la production en route. Et, surtout, attirer des investissements directs étrangers (les IDE) ceux-là mêmes qui ont déserté la Tunisie depuis longtemps. Dédiaboliser les hommes d’affaires, cela encore.
Pour que cela se réalise, il faudra penser à installer un climat politique sain, transparent et démocratique, parce que ce sont là les réquisits de la stabilité. Parce que, dans tous les cas de figures, la démocratie à laquelle appelle le Front du salut n’en est pas une. Elle a même défiguré le printemps arabe.
La Tunisie n’a pas besoin d’un miracle. Le 25 juillet aura mis fin aux tribulations d’une époque de hautes turbulences. C’est certain. Aujourd’hui, cependant, le peuple a besoin de se sentir sécurisé au rapport de ses questionnements existentiels. Et c’est là que Saied doit sortir le grand jeu.