Alors que la Pharmacie centrale de Tunisie (PCT) croule sous le poids des dettes et peine à payer ses vis-à-vis de ses fournisseurs, le nombre de médicaments manquants sur les étalages des pharmacies ne cesse d’augmenter. Cette situation, qui pénalise aussi bien les patients que les pharmaciens, trouve son origine dans le choix fait il y a quelques années de continuer à verser les pensions de retraite en puisant dans les ressources de la Caisse nationale d’assurance-maladie.

« La pénurie c’est notre pain quotidien », soupire Nézih. Ce pharmacien installé à Ben Arous se trouve chaque cinq à dix minutes obligé des grossistes pour s’enquérir de la disponibilité des médicaments ou des médecins pour modifier leurs ordonnances et remplacer un médicament importé en rupture de stock par son équivalent générique.

« Nous essayons de jongler, mais la situation devient de plus en plus difficile à gérer. Parfois, nous n’avons pas de solutions, et le patient est obligé de rentrer bredouille », explique-t-il.

Si la pénurie de médicaments ne date pas d’hier, elle s’est aggravée depuis le début de l’année. Antihypertenseurs, antidépresseurs, traitements des maladies cardiovasculaires, du diabète, de l’épilepsie, de la maladie de Parkinson ou parfois même des simples anti-douleurs et des sprays nasaux. La liste est évidemment non-exhaustive.

« La pénurie des médicaments se poursuit dans les pharmacies depuis plusieurs mois, et concerne près de 300 catégories », a déclaré le président du Conseil national de l’ordre des pharmaciens, Ali Bsila, le 5 avril, cité par l’agence TAP.

« Tous les types de médicaments sont concernés. Certains sont remplacés par des médicaments génériques, alors que certains médicaments importés n’ont pas d’équivalent générique », a-t-il ajouté.

Le ministère de la santé semble désarmé face aux ruptures de stocks. Il se mure d’ailleurs dans un silence assourdissant, tant il semble dépassé par les événements.

Pour les professionnels de la santé, la cause de la pénurie de médicaments est un secret de Polichinelle.

« La principale cause est l’accumulation des dettes de la Pharmacie centrale de Tunisie (PCT) qui se trouve aujourd’hui dans l’incapacité de payer à temps des fournisseurs et les laboratoires pharmaceutiques à l’étranger », souligne président du Conseil national de l’ordre des pharmaciens, indiquant que cet organisme détient le monopole de l’importation des médicaments en Tunisie traîne des dettes estimées à 1238 millions de dinars à la fin de novembre 2022.

Même son de cloche chez le président du syndicat des pharmaciens d’officine de Tunisie (Spot), Naoufel Amira : « la crise est une conséquence naturelle des difficultés financières auxquelles est confrontée la Pharmacie centrale ».

 Selon ce responsable syndical, la détérioration des équilibres financiers de la Pharmacie centrale a commencé en 2015, lorsque les autorités ont fait le choix de privilégier le versement des pensions de retraite en puisant dans les ressources de la Caisse nationale d’assurance-maladie (CNAM). « C’est un peu l’histoire du serpent qui se mord la queue », ironise-t-il.

L’endettement de la Pharmacie centrale s’explique en effet par une boucle de non-paiement. En effet, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) et la Caisse Nationale de Retraite et de Prévoyance Sociale (CNRPS) siphonnent les avoirs de la CNAM. Celle-ci ne trouve pas de quoi payer les payer la Pharmacie centrale qui, elle aussi, ne parvient plus à payer ses fournisseurs.

Selon le syndicat des pharmaciens d’officine, seul l’Etat est désormais capable d’apporter une solution aux pénuries récurrentes des médicaments en lançant une réforme profonde des régimes de sécurité sociale.

Dans une récente étude sur le secteur des médicaments en Tunisie, l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES) a, quant à lui, appelé à briser le monopole de la pharmacie centrale en matière d’importation. « La centralisation des importations par la PCT a assuré la stabilité du secteur en garantissant la disponibilité des médicaments, leur contrôle, et la maîtrise de l’augmentation des prix grâce à un système de compensation, qui a permis un maintien des prix relativement bas de médicaments vitaux importés. Cependant, il semblerait que ce système touche aujourd’hui ses limites », a-t-il précisé.

Le marché des médicaments en Tunisie est estimé à environ 2,5 milliards de dinars par an. Les importations assurées exclusivement par la PCT représentent 47,5% de ce marché tandis que la part des médicaments fabriqués par les laboratoires pharmaceutiques implantés en Tunisie s’élève à 52,5%.

La PCT est le fournisseur exclusif des établissements de santé publics aussi bien pour les médicaments importés que pour ceux produits localement. Elle est également chargée du suivi des stocks de sécurité des médicaments essentiels et vitaux (3 mois de consommation).

                                                                                                                   Walid KHEFIFI