Principale force syndicale du pays, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) semble avoir perdu beaucoup de sa marge de manœuvre depuis que le président Kaïs Saïed s’est arrogé les pleins pouvoirs en juillet 2021. La centrale syndicale qui était naguère prompte à se dresser énergiquement contre les tentations hégémoniques du pouvoir est aujourd’hui très précautionneuse. Après avoir organisé des manifestations dans les régions qui ont été couronnées par une marche à Tunis le 4 mars, elle adopte des positions que certains analystes et opposants jugent plutôt molles et timorées.

Les provocations à son encontre ne se sont pas pourtant arrêtées. Après la détention d’Anis Kâabi, le secrétaire général du syndicat de la société publique Tunisie Autoroutes, qui a été accusé d’avoir occasionné des pertes financières à l’Etat pour avoir ouvert les portiques des péages aux autoroutes lors d’une journée de grève, la Chambre correctionnelle au Tribunal de première instance de Tunis a condamné, vendredi, à quatre mois de prison, 16 syndicalistes au secteur du transport dont le secrétaire général de la Fédération générale du Transport, Wajih Zidi, pour « entrave à la liberté du travail ».

Des plaintes contre ces syndicalistes avaient été déposées par le chargé du contentieux de l’Etat au nom du ministre du Transport pour « entrave à la liberté de travail », « prise d’assaut du bureau du ministre » et « blocage de l’ascenseur du ministère ».

Trois jours auparavant, le secrétaire général du syndicat de base du ministère des Affaires culturelles, Nasser Amara, et un autre membre du Bureau du même syndicat, Nader Smari, ont été placés en garde à vue après une plainte pour « agression verbale » déposée par la ministre Hayet Guettat Guermazi.

Ces nouveaux rebondissements, révélatrices de la montée des tensions entre les autorités et l’UGTT, n’ont pas suscité des réactions fortes de la part de l’UGTT.

Auparavant, le président Kaïs Saïed a déclaré persona non grata l’Irlandaise Esther Lynch, secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats, venue soutenir des manifestations organisées par l’UGTT en février 2023. Un autre syndicaliste espagnol a été refoulé à l’aéroport de Tunis Carthage alors qu’il avait fait le déplacement pour participer à une manifestation à Tunis.

Se démarquer de l’opposition

Selon certains analystes, l’attitude timorée de l’organisation ouvrière doit surtout être analysée à l’aune de son attachement à se démarquer de l’opposition au régime, dont le fer de lance est le Front de Salut national constituée autour du mouvement islamiste Ennahdha. Bien qu’elle regroupe une mosaïque de sensibilités politiques, la gauche et les nationalistes arabes qui représentent des ennemis idéologiques traditionnels des islamistes sont en effet très présents dans les hautes instances dirigeantes et les structures intermédiaires de l’UGTT.

Par ailleurs, la direction de l’UGTT fait face à l’apparition d’un courant syndical qui soutient le projet du locataire de Carthage, comme en atteste la publication le 12 mars par un groupe de syndicalistes d’un communiqué qui conteste le choix de l’île de Kerkennah, terre natale du fondateur de l’organisation Farhat Hached, pour la tenue de la réunion de la commission administrative nationale et les « errements » des dirigeants actuels de la centrale syndicale.

« La symbolique de Hached et sa ligne militante ne sont pas un fonds de commerce à vendre, ni un capital à faire fructifier dans la bourse de l’aventurisme au mépris de l’avenir de l’organisation », ont écrit ces syndicalistes parmi lesquels figurent Laâroussi Hanana, Hbib Larguech et Abdelhamid Fehri, évoquant de « graves errements et un aventurisme mal calculé visant à dépouiller l’organisation de sa vocation militante ».

D’autre part, l’UGTT semble encore croire en sa capacité à sauver le pays, en s’attachant à la finalisation de la nouvelle initiative de dialogue national lancée en partenariat avec l’Ordre des avocats, la Ligue tunisienne des droits de l’homme et le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES), bien que le chef de l’Etat ait déjà rejeté tout dialogue. « La corruption ronge le pays comme un cancer. Ils parlent pourtant de dialogue ! De quel dialogue parlent-ils ? Pourquoi avons-nous organisé des élections ? Qu’ils viennent voir les véritables problèmes du peuple », avait en effet martelé le locataire de Carthage lors d’une visite effectuée aujourd’hui, mercredi 22 février 2023, dans l’espace réservé à la construction du centre de formation professionnelle de Jebel Jeloud et au siège de la société tunisienne des industries pharmaceutiques.

Et last but not least, certains proches du président Kaïs Saïed évoquent des soupçons de corruption qui pèsent sur certains dirigeants de l’UGTT. Tel est notamment le Ridha Belhaj cas du porte-parole du parti islamiste Hizb Ettahrir, qui a révélé tout récemment sur les ondes de Jawhara FM que « plus de 200 dossiers de corruption impliquant des syndicalistes sont entre les mains du président ». Les dirigeants de l’UGTT ont cependant toujours appelé ceux qui détiennent des dossiers de corruption mettant en causes des syndicalistes à les transmettre sans délai à la justice.

 

 

Walid KHEFIFI