Par Raouf KHALSI

Un jour, juste après l’accès de Abdennacer au pouvoir, l’un de ses lieutenants est venu lui conseiller de frapper Om Kalthoum d’anathème parce que, selon lui, la Diva chantait pour la monarchie et qu’elle a même failli se marier avec l’oncle maternel du roi Farouk. Abdennacer appuya sur un bouton, fit venir son aide de camp et lui murmura quelques mots à l’oreille. Quelques minutes après, l’aide de camp se présentait muni d’une pioche. Le Rais tendit alors la pioche au lieutenant zélé et lui dit ceci : « Tant qu’à faire, va détruire les pyramides ».

Quelqu’un peut-il, chez nous, détruire à l’aide d’une pioche trois mille ans de civilisation. Peut-on effacer d’un trait le legs bourguibien au regard de la modernisation de la société tunisienne, dont l’émancipation de la femme, l’aumône faite au savoir, les couvertures sociales et la généralisation de la santé publique ?

Peut-on, par ailleurs, remettre en cause les seuls véritables acquis de la révolution : la démocratie et la liberté d’expression ?

A l’évidence, nous pataugeons dans le brouillard. Parce que les fondamentaux de la révolution demeurent imprescriptibles. Parce que le mot « Dignité » est écrit avec le sang, mais aussi en lettres d’or. D’où vient alors que l’amnésie collective se soit métastasée et qu’elle emporte le pays au milieu des hautes turbulences, là où les nuées orageuses nous prédisent un sombre avenir.

Nous voilà donc ballottés au gré des idéologies surannées, celles-là mêmes qui cherchent à nous spolier de notre passé, à assombrir le présent et à nous intimer d’embrasser un avenir incertain.

En cette époque qui consacre, haute béance, le dépérissement des idéologies classiques sous les coups de boutoir d’un populisme qui tend à s’universaliser, nous en sommes là à disserter sur le sexe des anges, si ce n’est sur « la canonisation » du diable, devenu du coup, intime. Nostalgie de onze années de destruction massive de nos aspirations pour une Tunisie meilleure ? La secte nahdhaouie, toujours aussi prompte à instrumentaliser toutes les doléances sociales, ne se sait pas vomie par le peuple. Mais ce peuple, précisément, est-il vraiment disposé à « ingurgiter » l’idéologie saidiesnne  qui se propose  de reconstruire une démocratie par la base ? Les urnes ont eu une réponse cinglante. Que faire alors, sans oublier qu’à l’aune du 25 juillet, Kais Saied nous aura débarrassé des affreux croquemitaines ? Le maitre du jeu, c’est encore lui. A la limite, peut-il encore troquer l’unilatéralisme contre le gradualisme. Parce que celui-ci reste le roman des origines des Tunisiens. Ils n’aiment pas être heurtés. Ils deviennent négativistes face à un paysage clair-obscur.