Par Raouf Khalsi

Suffit-il d’être dévots pour jouir des bonnes grâces de l’oncle Sam ? Suffit-il encore de se démarquer vis-à-vis des sphères d’influence de l’impérialisme yankee pour raffermir une souveraineté foulée du pied par une décennie de hautes turbulences ? Plus on lui donne (à l’Oncle Sam) et plus il en demande : ceci pour les dévots. Et plus on le contrarie et plus il persiste dans sa théorie du « désordre créateur » : ceci pour les souverainistes.

C’est la formule assassine : ce « désordre créateur » pour que naissent ces zones d’influence sans cesse remodelées selon les intérêts « stratégiques » d’une Amérique prise de court par le Printemps arabe, mais qui aura vite fait de l’asservir.

Son modèle prêt-à- consommer est cousu de fil noir par cet axiome de départ : vous adhérez à mes zones d’influence mais selon mon propre modèle démocratique. Un fourre-tout qui fait que des esprits revêches rejettent ce modèle. Et alors, la solution américaine est dans l’asphyxie économique !

Encore une fois, Antony Blinken a remis sur la table la vision américaine de «    la meilleure démocratie possible » et qui sied à la Tunisie. Or, lors de cet entretien avec Kais Saied, toute la dialectique, d’un côté comme de l’autre, aura emprunté la trajectoire des lieux communs autour des concepts, mais pas des réalités de la vie politique en Tunisie telle qu’elle se meut depuis le coup d’audace du 25 juillet.

Les Américains voient les choses selon leur modèle à eux, feignant d’oublier les avatars de dix bonnes années de règne de ce qu’on appelle l’islam politique et sa mainmise sur les rouages de l’Etat, tout autant que les interconnexions lobbyistes.

De notre côté, et au-delà de la phraséologie de Saied et sa technique « messianique » à définir le bonheur, il faut bien admettre que les lumières du 25 juillet ne brillent plus aussi fort face à une conjoncture interne lourde d’implications et que le problème de la Tunisie n’est plus d’ordre politique, mais cruellement existentiel.

Quand le FMI se détourne des besoins pressants pour lesquels nous l’avons sollicité (nous l’aurons voulu) eh bien cette lueur d’espoir mystérieusement éteinte en rajoute au marasme socioéconomique, et avec des lendemains brumeux.

A la limite, serions-nous tentés d’affirmer que le ver n’est pas dans les institutions. Les institutions ? Voilà, nous aurons un Parlement comme le veulent l’Amérique et l’Union Européenne. Ce qui est sûr, c’est que nous n’aurons plus à regarder des scènes avilissantes et à   subir le fait accompli d’une caste ayant défiguré la démocratie.

Avons-nous la garantie que les bourgeons de la démocratie, la vraie, fleuriront enfin en Tunisie ?

Et cette démocratie, précisément, sera-t-elle porteuse de ce « Bonheur national brut », pour l’heure, encore fantasmé dans l’esprit des Tunisiens ?