C’est une crise qui dure depuis près de 70 ans. Entre la Chine et Taïwan, le conflit connaît un regain de tensions depuis la visite officielle de Nancy Pelosi, numéro 3 américaine, début août, sur l’archipel. À la tête du pays, Tsai Ing-wen, 65 ans, que tout oppose au président chinois Xi Jinping. D’abord parce qu’elle est native de l’archipel, quand lui, est un pur produit de la Chine continentale. Mais surtout, parce qu’ils n’imaginent pas le même avenir pour la République de Chine, le nom officiel de Taïwan. Focus.

La Chine de Xi Jinping considère l’archipel comme une de ses provinces, et s’est donné comme objectif sa réunification prochaine, sur le principe du « un pays, deux systèmes », comme à Hong Kong. De l’autre, Taïwan n’a jamais déclaré officiellement son indépendance, mais agit comme tel avec son propre système politique, administratif et judiciaire, et entend bien conserver cette autonomie. Présidente depuis 2016, Tsai Ing-wen résiste aux ambitions chinoises, comme le prouvent les exercices militaires que son pays a engagés ce mardi pour se défendre.

Fille d’un garagiste et issue de deux ethnies minoritaires, Tsai Ing-wen grandit sous la dictature taïwanaise puis connaît la démocratisation de l’archipel à partir des années 1980. Dans les années 2000, elle accède au poste de présidente aux affaires continentales, où elle est chargée du dialogue avec Pékin. Une expérience déterminante pour la suite de sa carrière, selon Emmanuel Lincot, professeur à l’Institut Catholique de Paris, sinologue et Chercheur-associé à l’Iris : « C’est sans doute dans ce contexte qu’elle a été confortée dans son opinion de ne pas tenir compte du « un pays, deux systèmes » proposé par Pékin en 1992. Il n’était pas question de tomber dans le même piège que Hong Kong. »

Candidate à la présidence en 2012, elle échoue face au parti pro-Pékin, mais remporte une victoire historique quatre ans plus tard, en devenant la première femme présidente de Taïwan. Si son élection provoque la colère de la Chine, Tsai Ing-wen adopte un ton conciliant, appelant la Chine au dialogue. « Les deux parties gouvernantes sur les deux rives du détroit doivent laisser de côté le poids de l’Histoire et s’engager dans un dialogue positif, pour le bénéfice du peuple de part et d’autre », lance-t-elle lors de son discours inaugural, le 20 mai 2016.

Pour autant, elle se montre intransigeante sur le maintien de la démocratie et des libertés dans une société de plus en plus ouverte. En 2019, son parti légalise le mariage pour tous, une mesure avant-gardiste en Asie. En six ans, Tsai Ing-wen n’a jamais appelé ouvertement à l’indépendance de Taïwan, un acte qui serait susceptible de déclencher une guerre. Mais la situation actuelle pourrait bouleverser cet équilibre. « Il y a encore 20 ans, la majorité des Taïwanais étaient prêts à intégrer la Chine, aujourd’hui c’est le contraire, rapporte Emmanuel Lincot. Non seulement la situation hongkongaise a été le prélude à cette tendance, mais ce qui se passe ces derniers jours à l’encontre de l’île va renforcer ce sentiment d’éloignement de la Chine continentale voire même d’indépendance. »

La visite de Nancy Pelosi continue à secouer la région. Entre la Chine et Taïwan, c’est joutes verbales et balles réelles. La Chine estime que Taïwan, peuplée d’environ 23 millions d’habitants, est l’une de ses provinces, qu’elle n’a pas encore réussi à réunifier avec le reste de son territoire depuis la fin de la guerre civile chinoise (1949). Opposé à toute initiative donnant aux autorités taïwanaises une légitimité internationale, Pékin est vent debout contre tout contact officiel entre Taïwan et d’autres pays. Alors même si des responsables américains se rendent fréquemment dans cette île, la Chine a jugé que la visite le 4 août dernier de Nancy Pelosi, l’un des plus hauts personnages de l’Etat américain, a été une provocation majeure.

(avec agences et médias)