Le projet de la nouvelle constitution a suscité depuis sa parution, tard dans la soirée du 30 juin 2022, divers commentaires, allant de la réserve sur certains points, jusqu’à l’inquiétude, voire l’exaspération, que ce soit de la part des citoyens que des spécialistes en droit constitutionnel. Réactions venant de tout bord, dont des membres du haut comité du dialogue, naguère chargés d’élaborer un projet et qui aujourd’hui ne se reconnaissent pas en la mouture officielle, qui sera soumise au referendum, dont le doyen Sadok Belaïd et Amine Mahfoudh. Ces derniers s’accordent à dire que le projet officiel de la nouvelle Constitution, n’est pas celui qu’ils ont élaboré au sein du haut comité du dialogue. Déjà sur ce point on se demande si ce comité de dialogue n’a pas eu tout simplement un rôle de parade, pour un semblant de dialogue que Kais Saied refusait à la base. Pour preuve, après la remise du projet par le président du comité, il ne s’est jamais concerté avec eux, sur les modifications qu’il a introduites ultérieurement ou sur les points qu’il voulait revoir.

A titre d’exemple et selon une copie de la mouture, élaborée par le comité du dialogue, qui a fait le tour des réseaux sociaux, il y a des points qui ont été supprimés dans le texte officiel, dont celui concernant la destitution du Président de la République en cas de manquement à ses obligations, c’est-à-dire comme le souligne le Doyen Sadok Belaïd : « la non responsabilité politique du Président de la République ». C’est ce que fait remarquer le professeur Salsabil Klibi , dans un article paru dans une revue de la place en déclarant que : « Le projet de constitution, à l’image du texte de l959, met en place un président omnipotent, exempté de toute responsabilité politique, bénéficiant d’une immunité fonctionnelle et pénale, avec en face de lui un parlement affaibli et une justice vulnérable ».Ajoutant « qu’à l’image de l’article 37 de la constitution de 1959, l’article 87 du projet confère le pouvoir exécutif (nommé fonction exécutive dans le texte) au président de la République,  et il ne revient au gouvernement et à son chef qu’un simple rôle d’assistance ».

 

Par ailleurs Sadok Belaid déplore dans le texte officiel du projet « une organisation incomplète et arbitraire de la Cour constitutionnelle et de ses attributions, comme par la limitation de ses membres au corps judiciaire, à la faveur d’un système de nomination qui réduit son indépendance ».

En effet la Cour Constitutionnelle, censée être la plus haute juridiction de l’Etat, a vu le nombre de ses membres passer de douze à neuf et elle est constituée exclusivement de juges. Ces derniers sont nommés selon le critère de leur ancienneté et non de leur compétence. Les hauts magistrats ne sont pas  tous versés en matière de droit constitutionnel. C’est la raison pour laquelle, dans la composition de la Cour constitutionnelle prévue par la constitution de 2014, il y a parmi ses membres des juristes, des avocats et des universitaires. Tous ces derniers ont été écartés dans la version officielle du projet de la nouvelle Constitution. Est-ce à-dire que la Cour constitutionnelle, qui constitue un contre-pouvoir, ne pourra plus contrôler  sérieusement le président de la République, qui jouit dans le présent projet de prérogatives très étendues ?

Par ailleurs la Cour constitutionnelle, n’a plus la possibilité, selon le projet officiel, de contrôler l’Etat d’exception. A ce propos Salsabil Klibi fait remarquer que « la Cour a perdu également dans ce projet un autre pouvoir de contrôle autrement plus important : il s’agit de celui relatif au recours du président à l’Etat d’exception, état que les Tunisiennes et tunisiens ont découvert un certain 25 juillet 2021 et qui nous a conduit à la présente situation. Là encore la Constitution de 1959 reprend ses pleins droits. L’article quatre-vingts seize du projet, reprend les termes de l’article 46 de la Constitution de la première République en supprimant le contrôle du maintien de l’état d’exception au-delà de trente jours de son instauration, contrôle que la Constitution de 2014 a institué ».

C’est la raison pour laquelle, deux professeurs et membres du haut comité de dialogue, à savoir le Doyen Sadok Belaid et le professeur Amine Mahfoudh, appellent le Président Kais Saied à revoir le texte officiel du projet de la nouvelle constitution en vue de la mise en place « d’un système démocratique et non autoritaire ».

Amine Mahfoudh : « Un coup dur pour les droits et libertés ».

Pour sa part Amine Mahfoudh estime « que la version publiée constitue un coup dur pour les droits et libertés ». De son côté le doyen Sadok Bealid écrit : « la Commission est totalement innocente du texte présenté par le président de la République au référendum national ».

Dans une lettre confiée à notre consœur Assabah il écrit notamment : « Ce qui me pousse à proclamer cette vérité dépasse le souci de respecter des formes usuellement pratiquées en ce qui concerne les missions consultatives, pour porter sur le fond et ce que nous considérons beaucoup plus grave. Nous estimons en effet que le texte émanant de la présidence de la République renferme des risques et des défaillances considérables qu’il est de mon devoir de dénoncer ».

Ce projet de la nouvelle constitution, servira à instituer la troisième République. Aussi est-il nécessaire de garantir à travers la loi suprême, un Etat de droit fondé sur la démocratie et un équilibre effectif entre ceux qui le dirigent. Les critiques concernant le projet officiel de la nouvelle Constitution, ne sont pas dirigées contre la personne de Kais Saied, mais contre les pouvoirs étendus et sans possibilité de contrôle du Président de la République en tant que fonction. Les personnes s’en vont et les institutions restent. Avec une telle constitution, pour peu qu’on ait affaire à un président excessivement autoritaire, qui succédera un jour à Kais Saied, le pays sombrera de nouveau dans le gouffre de la dictature. C’est pour cette raison que plusieurs observateurs dont le professeur Amine Mahfoudh, demande instamment à Kais Saied de revoir sa copie, quitte à reporter le referendum de quelques jours.

 

Ahmed NEMLAGHI