Depuis le fameux printemps arabe, la Tunisie a vu l’émergence et la propagation de plusieurs mouvements djihadistes et a été le théâtre de plusieurs attentats terroristes. Profitant du chaos et de la faiblesse de l’Etat, des organisations terroristes ont essayé par plusieurs moyens de s’implanter en Tunisie, mais au fil des années, grâce à la vigilance de notre valeureuse Armée et de nos sécuritaires, tous corps confondus, ainsi que de nos services de Renseignement, qui ne dort pas sur ces deux oreilles, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent, nous avons pu démanteler plusieurs cellules terroristes. En revanche, vu le contexte politique actuel qui prévaut en Tunisie, et avec les menaces graves qui pèsent sur la sécurité du président de la République, Kais Saied, tel que cela a été annoncé, hier, par la porte-parole du ministère de l’Intérieur, Fadhila Khlifi, il ne faudrait surtout pas baisser la garde !

D’après la 2ème édition de la revue analytique des Nations Unies en collaboration avec la Commission Nationale de Lutte Contre le Terrorisme (CNLCT), concernant les facteurs favorisant l’extrémisme violent dans la Tunisie post- révolution, L’extrémisme violent est considéré, dans le contexte tunisien, comme l’activité transgressive d’individus et de groupes non -étatiques qui diffusent un message d’intolérance extrême et prônent ou exercent de manière disproportionnée et volontaire la violence à des fins économiques, sociales, identitaires ou politiques.

Contexte régional incertain

Selon la même revue, même si la violence djihadiste – forme principale prise par l’extrémisme violent ces dix dernières années en Tunisie – a diminué depuis l’échec de l’attaque de Ben Guerdane, en mars 2016, par un commando de l’Organisation de l’Etat islamique (OEI), le contexte régional demeure incertain. A horizon de quelques années, les Etats d’Afrique du Nord pourraient fortement s’affaiblir au moment où l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO) et le Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GISM) menacent la pérennité de plusieurs Etats d’Afrique subsaharienne.  Et d’ajouter que l’extrémisme violent et le terrorisme représentent un obstacle majeur à la consolidation des principes des droits humains, à la réalisation de la paix sociale et du développement durable et inclusif. A cet égard, la Tunisie s’est engagée depuis plusieurs années à soutenir l’effort international de lutte contre le terrorisme et s’est de plus en plus investie dans différentes initiatives stratégiques de prévention de l’extrémisme violent.

Toutefois, les mesures de lutte contre le terrorisme et la radicalisation se doivent de respecter, promouvoir et assurer la protection des droits de l’homme. Afin de soutenir les dynamiques régionales autour de la prévention et de la lutte contre la radicalisation, l’extrémisme violent et le terrorisme, le Conseil de l’Europe a organisé, les 22 et 23 juin 2022 à Tunis et en ligne, une Conférence régionale sur le thème «La lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent : Pour une approche coordonnée des droits de l’Homme». Elle a réuni des représentants et des experts de l’Algérie, l’Égypte, la Jordanie, le Liban, la Libye, le Maroc et la Tunisie. Cette Conférence a été organisée dans le cadre des programmes conjoints de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe, « Soutien régional à la consolidation des droits de l’homme, de l’État de droit et de la démocratie dans le sud de la Méditerranée » (Programme Sud IV) et le « Projet d’appui aux instances indépendants en Tunisie » (PAII-T), en partenariat avec la Commission nationale de lutte contre le terrorisme en Tunisie (CNLCT), la Haute Instance de la communication audiovisuelle en Tunisie (HAICA) et l’ONG « No Peace without justice ». Les politiques conformes aux normes des droits de l’Homme préservent les valeurs que les actes terroristes essaient de détruire. Plus encore, elles affaiblissent le soutien au radicalisme parmi les partisans potentiels et renforcent la confiance du public dans l’État de droit. Comme l’a déclaré le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies dans sa résolution 31/30, « les objectifs de la lutte contre le terrorisme et de la protection et de la promotion des droits de l’Homme ne sont pas contradictoires mais complémentaires et se renforcent mutuellement ». C’est dans cette dynamique que se sont déroulées les deux jours de la Conférence, avec pour objectif de promouvoir une approche centrée sur les droits de l’Homme, notamment en matière de formation des professionnels qui travaillent sur la lutte contre le terrorisme dans la région.

Intervenant dans ce contexte, la Cheffe du Bureau du Conseil de l’Europe en Tunisie, Mme Pilar Morales, a rappelé que le phénomène de terrorisme a frappé beaucoup des pays dans le monde, y compris en Europe, avec des conflits comme ceux en Irlande du Nord avec l’IRA ou avec l’ETA en Espagne, mais la liste est longue. C’est face à ces menaces que le Conseil de l’Europe a été amené dès les années 1970 à élaborer une Convention européenne pour la répression du terrorisme qui est entrée en vigueur le 4 août 1978. Un texte appliqué aujourd’hui par les 46 Etats membres du Conseil de l’Europe qui en sont partie contractante. Elle a ajouté que, face aux actes et aux menaces terroristes, la tentation pour les gouvernements est forte de mettre entre parenthèses les garanties qui prévalent dans un Etat démocratique. Ainsi le respect des droits de l’Homme ne doit pas faire obstacle à une lutte efficace contre le terrorisme et l’extrémisme violent. Combattre le terrorisme et l’extrémisme violent ne doit pas servir de prétexte à une restriction des libertés et des droits fondamentaux.

Les loups solitaires

Le CDE s’est également penché sur des questions spécifiques autour du terrorisme, telles que les combattants isolés, les techniques d’investigation spéciales, les liens entre le terrorisme et le discours de haine ; aussi, sur la situation particulière des femmes et des enfants face à ce phénomène. De par leur vulnérabilité, les enfants (adolescents, mineurs- les moins de 18 ans) touchés par le terrorisme sont avant tout, des victimes.  Quel que soit leur rôle dans les groupes terroristes- qu’ils aient été recrutés par des groupes terroristes, ou bien que ce soit leurs parents qui sont impliqués- tout enfant devrait voir garantis ses droits, conformément aux conventions internationales. A cette question est liée celle du rapatriement et de la réintégration des groupes terroristes dans leurs pays d’origine, qui constitue un des défis les plus importants en matière de lutte contre le terrorisme. Et ces groupes, qui sont précisément composés le plus souvent de populations vulnérables comme les enfants, nécessiteraient des programmes de rapatriement et de réintégration spécifiques incluant des mesures de protection pour les populations fragilisées.

Pas question de piétiner les limites du Droit

Quant à M. Francisco ACOSTA SOTO, Chef de mission adjoint, Délégation de l’Union européenne en Tunisie, il a à son tour confirmé que la lutte contre l’extrémisme violent est certes difficile, dure et demande de sacrifices, parfois très durs à accepter par nos sociétés. Mais en aucun cas, l’Etat et ses serviteurs ne peuvent outrepasser les limites du Droit.  L’Etat doit utiliser tous les outils à sa disposition pour endiguer le cancer de la violence. Mr Acosta Soto a aussi rappelé que des victimes directes de l’impact du terrorisme et des mesures de lutte contre le terrorisme sont des enfants… Et c’est pour cette raison que l’Union européenne et la Tunisie collaborent main dans la main contre ce danger.

A la fin de ces deux jours de conférence, Les participants ont recommandé l’adoption d’approches fondées sur les droits de l’Homme et les droits de l’enfant pour lutter contre ce fléau. A savoir : l’adoption d’une approche globale des droits de l’Homme, dans les efforts de lutte contre le terrorisme, l’extrémisme violent, le crime organisé et les discours de haine, et les efforts concertés de toutes les composantes de l’État, de ses organes et institutions, y compris les organisations de la société civile et divers organismes éducatifs, professionnels, culturels , institutions artistiques et médiatiques, en prenant les mesures nécessaires pour faciliter le droit de l’enfant au regroupement familial dans les meilleurs délais, et considérer le retour en famille comme la meilleure option pour l’enfant en toutes les circonstances, y compris celles dans lesquelles les parents ou l’un d’eux est en prison pour les crimes commis.

Ainsi que la création d’un climat politique et social positif propice au retour et à la réintégration des enfants, loin d’une approche sécuritaire qui met les droits de l’enfant de côté, évitant les représailles, le déni des droits, la stigmatisation, la discrimination et l’intimidation, et encourageant et promouvant un engagement positif avec les communautés et les familles…

Il importe de rappeler tout de même, que l’extrémisme violent et le terrorisme sont aussi le résultat, au bout du compte, d’une géopolitique qui cultive avec aplomb ces foyers de tensions et de haine pour l’intérêt de ces grandes puissances qui régissent le monde et s’arrangent de son chaos, bien organisé, sans compter une industrie de l’armement, jamais insatiable. Bref, les pays défavorisés ont bon dos de devoir assumer les retombées du terrorisme dont ils seraient responsables, leur même qu’ils ne sont en réalité, que les victimes, toutes désignées d’un ordre mondial qui les dépasse. « Les vendeurs d’armes » deviendrons des apôtres de la paix par le seul fait qu’ils tiennent entre leurs mains les « cordons de la bourse ».

Leila SELMI