Par Slim BEN YOUSSEF

Rigoriste à volonté, parfois même à outrance, le syllogisme saïedien explique, de manière quasi systématique, pour ne pas dire dogmatique, toute situation actuelle par le renversement d’une situation qui lui était antérieure. Et, forcément, dans ce microcosme de la pensée présidentielle, du moins durant son exercice effectif du pouvoir après le 25 juillet, il n’y a visiblement pas de place aux compromis : si le ciel tombait, il y aurait toujours des alouettes de prises. Qu’est-ce qu’un changement de régime, au fait ? La possibilité qu’a une Société, une Nation ou un Etat, à un moment donné, de refouler en dehors de sa frontière, un segment récent de son histoire, en le déclarant « non national », en lui arrachant ses points d’ancrage, en le projetant dans la mort, dans le vide, dans la honte, dans l’oubli.

Jeter le bébé avec l’eau du bain ? Que tout le système politique et institutionnel des dix dernières années soit chamboulé de fond en comble : telle est, en deux coups de cuillère à pot, la pierre de touche de ce dogme saïediste. Dogme ou, du moins, ce vaste tissu de fixettes, de leitmotivs, de références et de convictions, dont le Président de la République puise, depuis qu’il est au pouvoir, toute sa phraséologie. Son crédo à Saïed : pas de retour en arrière, la marche de l’Histoire est inexorable. Quand bien même ses détracteurs –que l’on se doit évidemment de citer- n’y verraient, de leur vue, qu’une sordide série de « décisions unilatérales » émanant d’un pouvoir concentré dans les mains d’un seul homme, et ce, dirait-on encore, dans le seul but de renverser un régime durant une période décrétée opportunément « exceptionnelle ».

Question qui reste : combien de temps, une fois installée, durera cette Troisième république, imaginée et concoctée par le Saïedisme naissant ?

Bourguiba n’aurait-il pas, après tout, façonné la première à sa guise ? Le Zaïm, tout bien considéré, l’aura bâtie sur des bases solides. Autrement, elle n’aurait pas tant tenu sous le poids des décennies. Avant que Ghannouchi en vienne à  en inventer une deuxième. Celle-là même qui aura  fait long feu, retiendra ainsi l’Histoire. Parce que totalement défigurée, retiendra-t-elle encore. L’Histoire retiendra surtout que, pour la première comme pour la deuxième république, tout a commencé à partir d’une Assemblée constituante. Mais si la première a été tout à fait indispensable pour « constituer » ex-nihilo une Nation à l’aube de son indépendance, la deuxième, en version plutôt déformée, ne s’est révélé être , en fin de compte, qu’une perte de temps, d’énergie et d’argent du contribuable. Et même de sang, l’on se figurera aussi…

A coup sûr, le Président Saïed saura-t-il tirer quelques leçons de l’Histoire? Sera-t-il en mesure de les retenir toutes ? Impossible. C’est surhumain. « L’Histoire ne se répétera pas trois fois », tient-il du moins à marteler : surtout pas de Constituante, une simple « Commission nationale de réforme » devra faire l’affaire. Suffisant pour bâtir une nouvelle république ? A priori, oui. Ce serait même efficace. Quant à ses contours, toujours flous, pour ne pas dire carrément opaques, là, c’est tout une autre histoire. Dans la grande Histoire. Inexorable, cela va de soi ; imprévisible, forcément.