Par Dr. Ali OUERTANI

Ils sont là à la queue leu leu, baillant, nombreux et impatients devant les boulangeries… Ils attendent le pain, plus précisément ‘’la baguette’’. Le ramadan coïncide cette année avec une énorme pénurie de farine et de blé. A la conjoncture mondiale, s’ajoutent l’absence de vision et l’impuissance de l’Etat face à la mafia qui règne dans plein de domaines. Le pain est sacré ! Notre nourriture se base sur les plats en sauce et donc sur le pain ‘’Al Khobza’’, un mot qui porte plusieurs significations et qui devient même un leitmotiv.

On est loin des temps passés où on achetait cinq baguettes quand on avait besoin de deux, et dix quand cinq suffisaient. Le malheur, c’est que le lendemain, les poubelles sont pleines de pain rassis !

Le ramadan a fait empirer ce spectacle de queues interminables, quand on sait que pain était vendu à même la rue et que les vendeurs proposaient des formes, des goûts et des odeurs alléchantes pour faire couler la salive des jeûneurs. Aujourd’hui, les ouvriers des boulangeries imposent de faire la queue parfois plus heure en attendant la fournée. Dans les conditions sanitaires imposées par le covid, seules quelques personnes portent encore le masque. Elles sont rares. Quant à la distanciation, on a déjà oublié. Par la force des choses…

A la sortie des baguettes, les narines hument l’odeur du bon pain et les mains se tendent vers le comptoir. Souvent les ouvriers sont obligés de rationner pour satisfaire tout le monde ou presque. Car à cinq heure de l’après-midi, il est souvent impossible de trouver du pain, sachant que les épiceries n’en vendent plus.

Les premiers jours de ramadan, on ne parle que de ça : la pénurie, la queue interminable, la baguette qui rétrécit comme une peau de chagrin…. Elle ne fait plus que vingt-sept centimètres. Son poids baisse mais le jeûneur ne peut s’en passer. Il faut avouer que, de nos jours, cent quatre -vingt -dix millimes, c’est donné. Et tout le monde en profite : Le riche comme le pauvre, le touriste aussi, les restaurateurs, les marchands de casse-croûte… Tout augmente et le prix de la baguette ne bouge pas ! La raison politique explique cela. Bien sûr, qui peut oublier la révolution du pain en 1984? Les politiques ne s’aventurent pas sur ce terrain miné. Aussi n’arrivent-ils pas à ajuster le prix. La caisse de compensation continue de faire le reste, au risque de provoquer l’hémorragie de l’économie d’un pays déjà en détresse, une crise économiques grave. C’est une aberration flagrante dans la gestion économique d’un pays qui consomme sans mesure parce que justement le prix de la baguette est dérisoire. Cent treize mille tonnes de pain sont jetées par les familles tunisiennes soit un million de dinars mensuellement (statistiques officielles). Un million de baguettes sont jetées par jour. Les ramasseurs de pain rassis s’en donnent à cœur –joie pour le bonheur des éleveurs de bêtes pour lesquels le prix de la nourriture animale est de plus en plus cher.

L’inquiétude des consommateurs face à la pénurie n’a d’égal que la fierté de la baguette qui prend sa revanche.

Jetée dans les poubelles hier, elle est aujourd’hui attendue, désirée, rationnée. Qui va oser désormais la jeter dans ces conditions ? Elle le sera encore plus quand l’Etat sera obligé d’ajuster son prix au moins partiellement. Mais les politiques sentent qu’ils joueront avec le feu. Et  il n’y aura plus  personne  pour dire ‘’ on revient où on était, avant l’augmentation’’ ! Car Bourguiba n’y est plus hélas!

                                                                                                                      A.O.