Parmi tous les candidats à l’élection présidentielle 2022, Martin Rocca ne ressemble à aucun autre. Parce qu’à 22 ans il est le plus jeune d’entre eux, bien sûr. Parce qu’il ne propose ni programme, ni parti, aussi. Mais, surtout, parce qu’il est le seul à ne pas vouloir être élu.

Martin Rocca ne se rêve pas en locataire de l’Elysée. D’ailleurs, rien ne le prédestinait à un tel engagement puisqu’il ne se définit pas lui-même comme un «militant» et n’a «jamais baigné dans cet univers-là». Ca ne l’a pas empêché de s’intéresser à la politique «dès le lycée», mais seulement de manière «théorique». Cette participation au scrutin présidentiel, pour lequel il n’a encore jamais eu l’occasion de voter, est donc son premier engagement «concret». Et pas des moindres.

 

S’il a décidé d’être candidat, c’est avant tout parce qu’il est inquiet. Inquiet de voir «les gouvernements qui sont dans les institutions actuelles», celui d’Emmanuel Macron mais aussi ceux de François Hollande et Nicolas Sarkozy avant lui, «échouer en grande partie à faire face aux crises». En particulier celles qui s’inscrivent sur le long terme.

Il s’agit du réchauffement climatique, des gilets jaunes ou encore de la pandémie. Autant de problématiques majeures dont la gestion, selon Martin Rocca, échappe à l’exécutif en raison d’une autre crise qui supplante toutes les autres : celle de la démocratie.

«Je ne dis pas que résoudre la crise démocratique va nous faire résoudre celle de l’environnement, tempère ce diplômé en Histoire et Philosophie. En revanche, on ne résoudra par la deuxième sans résoudre la première. La question des institutions est un préalable nécessaire à la résolution de toutes les crises, puisque les bonnes institutions sont celles qui disposent du soutien le plus large de la population. Cela permet de former le consensus autour d’une représentation et de donner à cette représentation les moyens de lutter efficacement contre les crises».

Pour mettre son discours à l’épreuve, Martin Rocca est parti sur les routes une première fois l’été dernier, à la rencontre des élus locaux. L’idée un peu folle de se présenter à l’élection présidentielle a germé face aux nombreux retours positifs. Le projet était donc de rassembler, non pas autour d’un énième programme, mais derrière cette seule idée de «rénovation institutionnelle», en promouvant la création d’une assemblée constituante chargée de rédiger une nouvelle Constitution.

Un prêt de 20.000 euros plus tard, le jeune homme est donc à nouveau parti à la rencontre des élus à bord d’une caravane, en janvier. Et, cette fois-ci, pour récolter des parrainages. «Faire ce prêt c’était pour moi une manière d’apporter une garantie symbolique aux personnes qui étaient intéressées par le projet, explique-t-il. Pour leur montrer que ce n’était pas juste une lubie mais que j’avais l’intention de le porter jusqu’au bout».

Son initiative a pu faire sourire, au début, mais Martin Rocca ne s’en est pas formalisé. Au contraire. «L’objectif assumé était de profiter de cette élection présidentielle pour utiliser ma jeunesse, utiliser l’anecdote sympathique de la candidature d’un jeune de 22 ans pour remettre la question des institutions au centre du jeu médiatique et politique. Après, quand on parle du fond du projet et qu’on entre dans une vraie discussion, les sourires s’effacent et mon âge n’a plus aucune importance.»

Car, lancé sur le sujet du dysfonctionnement institutionnel, Martin Rocca n’a rien d’un novice hésitant. S’exprimant avec l’aisance de celui qui connaît son sujet, le candidat expose la problématique qui le préoccupe : elle repose sur le fait que «les institutions aujourd’hui permettent l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement sans que nous ayons la garantie qu’il est soutenu par une majorité».

«Très concrètement, poursuit-il, vous pouvez arriver à la présidence avec le soutien de 8 à 10 millions de personnes, soit 15 à 20% de la population. Ensuite les élections législatives vous permettent d’avoir une majorité à la chambre, donc vous décidez du gouvernement et, finalement, toutes les instances nationales vous soutiennent.»

Le gouvernement peut donc invoquer sa «légitimité juridique, symbolique» alors même qu’il n’a été choisi que «par une minorité plus ou moins large de la population». Résultat : lorsqu’il tente d’appliquer ses réformes, quelles qu’elles soient, il se retrouve confronté à «l’opposition frontale d’une majorité de la population». L’exécutif n’a alors que deux choix : y renoncer ou les appliquer quand même, «dans la douleur».

Martin Rocca est convaincu que ce système mène à l’insatisfaction de tous, puisque «si vous êtes opposé à la politique appliquée, vous vous sentez lésé, et si vous avez voté pour le gouvernement en place, vous allez vous sentir frustré parce qu’il ne réussit pas à appliquer son programme.»

Ce «cercle vicieux» a «écarté de plus en plus de gens de la politique» ces dernières décennies et explique le succès grandissant du «récit simpliste et autoritaire» de l’extrême droite, assure le jeune homme. Il décrit une «méfiance», un temps dirigée contre les responsables politiques eux-mêmes et qui, de nos jours, a atteint le système politique tout entier. La crise du Covid-19 a, d’après lui, été un «exemple incroyable» de cette «difficulté qu’on a aujourd’hui à faire appliquer des réformes, même si elles sont pour l’intérêt général».

Il développe : «Il y a un consensus scientifique hyper solide sur le fait que la vaccination globale d’une population permet de diminuer le nombre de morts. C’est une vérité scientifique. Mais la manière d’arriver à cette vaccination globale, elle, est sujette à débat.» Pourquoi ? Parce que dans cette «méfiance» ambiante, «toute prise de décision suscite tellement de défiance» qu’il devient difficile d’atteindre les objectifs fixés, même les plus «consensuels». «Un certain nombre de personnes se disent anti-pass vaccinal mais pas anti-vaccin, rappelle Martin Rocca. Elles s’opposent donc davantage au mode de prise de décision qu’à la décision elle-même.»

Ce dysfonctionnement des institutions est un «constat largement partagé» puisque les candidats à la présidentielle «ont tous un pendant institutionnel dans leur programme, mais défendent tous une solution différente». Pour Martin Rocca, la création d’une assemblée constituante permettrait de «faire s’affronter» ces différentes options «dans un cadre de débat serein dont sortirait une proposition de Constitution». Soumise à un référendum, cette dernière pourrait «potentiellement être soutenue par une large partie de la population», apportant le consensus dont l’Etat manque tant.

18.000 KILOMÈTRES PARCOURUS

En se lançant dans cette initiative, le jeune candidat voulait participer «au mouvement de pression», exercé sur la présidence de la République par «des associations, des mouvements politiques ou de contestation» qui réclament «une réécriture des règles du jeu». Son objectif était avant tout de rassembler, pour pouvoir dire «aujourd’hui, il y a une part des Français qui est prête à se déplacer aux urnes pour soutenir, non pas une candidature mais la rénovation de notre système politique».

Martin Rocca a parcouru 18.000 kilomètres, du 10 janvier au 22 février, afin de faire entendre son message. Le site du Conseil constitutionnel lui attribue actuellement trois parrainages validés, et, selon le jeune homme, leur nombre devrait «monter à 10 ou 15 d’ici à deux semaines». Les 500 signatures exigées pour participer au premier tour restent bien loin, mais le jeune homme ne pense pas essuyer un échec.

«Il faut savoir qu’on a rencontré personnellement plus d’une centaine d’élus et la majorité d’entre eux se sont montrés intéressés et partagent notre constat. Sachant que sur ces 120 élus, 15 ont décidé de nous parrainer, j’ai acquis la conviction que si les 35.000 maires de France avaient entendu parler de cette initiative, on aurait eu les 500 parrainages et on les aurait même eu facilement».

Martin Rocca regrette ainsi de ne pas avoir bénéficié de davantage de «visibilité médiatique». Cette expérience lui a néanmoins permis de réaliser que son projet, celui de «rénover nos institutions en dehors de tout programme de gouvernement» grâce à une assemblée constituante, est non seulement «faisable» mais «souhaité par plein de gens».

En attendant de tirer les conclusions de «cette expérience peu ordinaire», le jeune homme, se prépare à retourner à des considérations plus terre à terre : son «inscription à Pôle emploi, pour trouver un travail et rembourser [son] prêt».

Jusqu’au 4 mars, date de clôture du recueil des parrainages, Martin Rocca reste officiellement un candidat à l’élection présidentielle 2022. Passée cette échéance, il redeviendra un citoyen lambda, appelé à s’exprimer au travers des urnes, le 10 avril prochain. Mais le jeune homme ne garantit pas d’être au rendez-vous. «Je me demande tous les matins si je vais aller voter, confie-t-il. En tout cas, si je le fais, je n’irai pas en croyant faire changer les choses d’une quelconque manière.»

(D’après cnews)