Par Halima Ouanada

Résolument moderniste dans ses fondements et aspirations, la politique tunisienne en matière des droits des femmes et de la famille repose encore aujourd’hui sur une série d’ambigüités, de manque de conviction et d’audace pour transgresser les limites imposées par le référent religieux, qui a été pour beaucoup à l’origine du blocage du processus démocratique et de la résistance des mentalités conservatrices souvent violentes et ce, malgré un destin féminin prestigieux et exceptionnel par rapport aux pays arabo-musulmans.

Fruits, non pas du seul génie du leader éclairé H. Bourguiba, mais d’une mobilisation faite femme de longues dates pour l’indépendance nationale et personnelle, la situation de la femme en Tunisie est la résultante d’une mobilisation qui capitalise un ensemble d’acquis. Et ce grâce à la prolifération et au travail en synergie d’une société civile, porteuse d’espoir dans une démarche inclusive.

Aujourd’hui, en Tunisie, la res publica n’est plus le seul apanage du masculin. Bien au contraire, en plus des diplômées, même les femmes analphabètes et pauvres, les jeunes, en quête de plus de visibilité, investissent l’espace public, réel ou virtuel d’ailleurs. La citoyenneté des femmes au niveau de la législation n’est plus contestable aujourd’hui, mais c’est davantage les mentalités qu’il reste à révolutionner à commencer par l’espace privé, cet espace foncièrement politique où tout se joue et où le partage des tâches demeure un combat au quotidien. Car en l’absence d’une culture, d’une éducation spontanée, dès la fleur de l’âge, de l’égalité devant les tâches domestiques, en l’absence d’une prise de conscience chez les pères et mères que demander la dote au futurs époux pour disposer des corps de leurs filles est un acte qui va à l’encontre des droits de l’homme, les femmes ne pourront prétendre à une réelle quelconque égalité dans l’espace public.

De surcroit, si le pouvoir s’est constamment montré hésitant quant à l’évolution du statut de la femme, il n’est toutefois pas le seul à mettre en cause, car la société tunisienne, elle-même, et en dépit des mutations, demeure loin, en effet, d’avoir fait sienne l’exigence d’égalité des sexes. Elle continue à exprimer, en matière législative comme dans tous les aspects de la vie, de très fortes réserves devant une émancipation des femmes qui paraît à beaucoup de Tunisiens trop radicale. Trop timide pour nombre de femmes, trop hardi aux yeux de pans non négligeables de la population, le régime tunisien paraît essayer, avec des fortunes diverses, de réaliser la difficile synthèse des aspirations contradictoires d’une société jusqu’ici incapable de formuler un projet collectif de modernité.

Il s’avère urgent donc, notamment dans un contexte où la violence à l’égard des femmes va crescendo, de cesser de justifier encore aujourd’hui une inégalité des sexes au nom de la culture ou de la religion. Il s’agit plutôt de faire valoir l’idée que les droits humains et donc les droits des femmes sont universels et qu’il n’y a aucune raison de lier les droits des femmes aux variables de religion, de frontière, de nationalité ou de sexe. Avec le retour en force des conservatismes, il est dès lors urgent de libérer les revendications des droits des femmes de la question de l’identité arabo-musulmane, qui assigne les femmes à un statut juridique inférieur, pour les traiter sur les terrains des droits humains, de la citoyenneté et des libertés publiques.